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Identité culturelle et spiritisme - par Sarah Oufini

Voilà cinq ans que j’ai rejoint le Cercle Allan Kardec en tant qu’adhérente de l’antenne parisienne. Née en France, mes parents sont algériens et ont émigré dans les années 70. J’ai donc baigné dans deux cultures différentes, l’une occidentale par l’enseignement scolaire et la vie en société, l’autre arabo-musulmane par l’éducation familiale et religieuse. Musulmane pratiquante pendant quelques années, j’ai ensuite délaissé ma religion, non pas par manque de foi mais par manque de réponses. Au fil du temps, des rencontres et des échanges pluriels, mes questions sans réponses et ma curiosité m’ont ouverte à d’autres lectures, et c’est ainsi que j’ai croisé la route du spiritisme. Si dès le départ, j’ai été convaincue par le spiritisme et si j’ai trouvé des réponses cohérentes alliant à la fois spiritualité, philosophie et science, d’autres questions se sont posées.


Au premier abord, la philosophie spirite me semblait très «occidentale» et je craignais de devoir choisir ou plutôt de devoir abandonner ma culture arabo-musulmane. Pour la vivre au quotidien depuis toujours, je craignais de devoir m’adapter une fois de plus, sans réciprocité dans la démarche, sans qu’un pas ne soit fait dans la découverte de mon autre culture. Malgré ce pincement au cœur, la conviction et l’intérêt grandissants pour le sujet spirite, j’ai décidé de franchir le pas et de prendre un rendez-vous avez Jacques, co-fondateur du cercle et responsable de l’antenne parisienne.


Ma culture reconnaissant les esprits que l’on nomme djinns, j’étais convaincue de leur manifestation au travers des médiums. Il me fallait alors discuter et apprendre sur le plan philosophique et associatif. Mais j’étais aussi curieuse de savoir ce que le spiritisme pensait de l’islam et de son prophète, car si j’avais délaissé ma religion, je gardais un attachement très fort à Mahomet. Lors de cet entretien, j’ai pu demander à Jacques si Mahomet s’était manifesté et quel était son propos. Et la réponse m’a en quelque sorte rassurée, à savoir que Mahomet était un esprit supérieur qui avait eu pour mission de faire évoluer son peuple. Cet homme, ma référence spirituelle, celui auquel j’ai pensé tant de fois, était bien un esprit missionné et reconnu en spiritisme. Ce fut un soulagement, je dois le dire car je l’aime, tout comme beaucoup d’hommes et de femmes chrétiens aiment Jésus. Il m’aurait été difficile voire insupportable d’apprendre qu’il s’agissait d’un imposteur par exemple. Au fond de moi, je croyais en lui et même si certaines réflexions m’avaient éloignée de l’islam, elles ne m’avaient pas éloignée de lui. Et cette affirmation a répondu à nombres de mes interrogations intimes sur la question de l’islam. Tout ce que je trouvais absurde ou injuste, malgré la foi, s’est éclairé dans une compréhension à la lumière du spiritisme.


J’ai fait la différence entre le message de Mahomet et les dogmes créés par ses fidèles et successeurs. J’ai alors compris qu’en rejoignant la philosophie spirite, je ne le trahissais pas. Mais plus encore, j’ai compris que mon adhésion était une façon de rejoindre sa pensée réelle. S’il s’était manifesté lors d’une séance spirite pour parler de sa douleur face à son message transformé, c’est là que mon voyage devait s’arrêter… ou plutôt commencer. C’était en mars 2007.


On pourrait se demander si j’ai rencontré des difficultés «d’intégration» puisque j’étais la seule spirite réellement imprégnée de la culture arabe. Et quand je parle de culture j’utilise ce terme dans son sens large, pas seulement d’un point de vue éducatif mais j’y englobe la culture artistique, religieuse, historique, gastronomique, vestimentaire et traditionnelle dans ses fêtes et coutumes. Même si je reconnais ne pas être une érudite, j’ai tout de même une certaine curiosité que je nourris du mieux que je peux, alternant ouvrages occidentaux et ouvrages orientaux afin de parfaire mes connaissances dans les deux cultures. La question est donc : mon identité m’a-t-elle posé un problème pour adhérer à la philosophie spirite ?


L’identité, voilà un mot qui nécessiterait un article voire un livre. A lui seul, il renferme toute la complexité de l’être humain et sa difficulté à vivre en harmonie et en paix. Il y a différentes façons de présenter son identité selon la situation et l’endroit où l’on se trouve. Certains se présenteront par leur métier, d’autres par leurs passions, par leurs origines, leur nationalité, leur confession religieuse ou leur camp politique. Notre identité, c’est à la fois notre culture, nos origines, notre patrie. Mais aussi notre famille, notre parcours de vie, nos passions, nos valeurs, notre psychologie et nos souvenirs. Ce qui fait l’être pensant que nous sommes. Elle ne se résume donc pas à une appartenance communautaire. Elle est bien plus riche et complexe que cela, surtout lorsque l’appartenance communautaire est double. Si certains se limitent à vos origines ou votre nationalité, d’autres s’arrêtent à votre statut social, vos mœurs, votre physique ou votre attirance pour un sexe ou un autre. La différence culturelle n’est donc pas la seule cause de rejet ou de sentiment d’exclusion, parce qu’au fond, nous sommes tous différents, nous avons tous vécu à un moment ou un autre le rejet ou l’incompréhension face à notre différence.


Dans mon cas, il se trouve que ma différence culturelle a été très souvent la cause de propos racistes. Ces paroles qui blessent, qui reviennent régulièrement sur une lèvre ou sur une autre, parfois violentes et directes, parfois plus subtiles et mesquines, comme d’autres, de par leur différence, ont pu subir des propos homophobes ou sexistes. La situation est encore plus complexe lorsque l’on nourrit deux cultures différentes, ni tout à fait l’une, ni tout à fait l’autre. L’on se sent étranger, sans réelle place quel que soit le point cardinal où l’on se trouve. Avec une question qui revient sans cesse en boucle : Qui suis-je ? Blanc ou noir ? Nord ou sud ? Orient ou Occident ?


J’ai souvent été qualifiée de communautariste lorsque j’affirmais ma vision dans ma part orientale, mon appartenance au peuple arabe. Quant au qualificatif de bounty ou d’occidentalisée, il revenait chaque fois que j’affirmais ma part occidentale et mon amour pour la culture française, comme s’il fallait absolument choisir un camp, comme si indirectement on ne vous laissait pas la liberté d’être les deux à la fois, tout simplement. Cela s’explique par l’histoire commune de ces deux civilisations, une histoire lourde, difficile et encore non cicatrisée. Je ne m’étendrai pas plus sur ce sujet car ce n’est pas l’objet de mon témoignage. Il était cependant nécessaire que je l’introduise au minimum, pour que vous puissiez appréhender mon état d’esprit avant le spiritisme et de ce fait, comprendre la révolution que cette rencontre a provoquée.


Et en ouvrant la porte de la philosophie spirite, une autre alternative s’est offerte à moi : un être matériel ou spirituel ? Et j’ai choisi avec bonheur cette alternative à un choix douloureux qui aurait été de toute façon, la mort d’une partie de moi même. J’ai choisi l’être spirituel avant tout.

En spiritisme et notamment dans ce cercle spirite, je ne me suis jamais sentie étrangère ou rejetée. Je me sens à ma place parce que le spiritisme me la donne. Si l’on reprend les grands principes du spiritisme, que disent-ils ? Que nous sommes tous des esprits pulsés par Dieu, incarnés, dans le but de grandir en amour et en intelligence, de vie en vie grâce aux lois de la réincarnation, afin de comprendre et de rejoindre notre créateur. La notion d’identité prend alors une toute autre dimension, tout comme celle de fraternité ou de liberté d’ailleurs. Je n’ai donc pas eu à dépasser ma différence culturelle pour devenir spirite. J’ai simplement dû être moi-même, avec mon identité, dans tout ce qu’elle peut comporter en gardant le principe de l’origine spirituelle qui nous relie tous. Si difficulté il y a eu, ce n’est pas dans mon «intégration» au cercle. Je dirais même que je suis tellement bien intégrée qu’on aurait tendance à oublier justement ma double culture. ll ne peut y avoir de difficulté d’intégration si nous sommes en accord sur le sujet qui nous rassemble. En l’occurrence pour nous, c’est le spiritisme. Plutôt que de difficulté, je préfère parler de manque. C’est quelque chose de difficile à décrire et à expliquer que, peut-être, certains comprendront. Peut-être me manquait-il une part de l’Orient, ses philosophes et écrivains, ses poètes et musiciens. Evidemment, dans toutes les cultures il y a eu de grands esprits venus éclairer les peuples par l’art, la science, la philosophie. Et pour être honnête, au début, je me suis souvent demandée ce que tous ces esprits devenaient et pourquoi ils ne s’étaient pas manifestés. C’était là une question légitime, je pense, pour celui qui découvre à peine la philosophie spirite, s’attachant d’abord au nom des esprits qui se manifestent plutôt qu’à la beauté de cette possible communication. Mais avec le temps, la lecture des messages reçus, la réflexion qui les accompagne, ce manque s’est peu à peu effacé.


Et la séance spirite y est pour beaucoup. Elle crée une émotion particulière, une atmosphère hors du temps et de l’espace comme si, par la manifestation de l’esprit, nous nous retrouvions aussi esprits. Cet instant n’a pas de culture, ni d’origine si ce n’est notre spiritualité commune. A ce moment-là, la seule chose qui compte, c’est notre rassemblement autour du médium, lui envoyant nos fluides afin que l’esprit apporte son propos par clairvoyance, écriture ou incorporation. Nous y voyons différentes façons pour l’esprit de se manifester selon le médium qu’il utilise, c’est dire que la différence est partout, naturelle, inhérente à l’homme et à la fois complémentaire.


C’est très certainement ma réflexion qui s’est alors ouverte et universalisée. J’ai compris que le spiritisme avait un héritage culturel occidental certain, de par son lieu de naissance et la culture de ceux qui l’ont porté. Le travail admirable de codification a été fait par Allan Kardec, un Français. Il a été suivi, étudié et défendu courageusement par des occidentaux. Comment s’étonner de cet héritage culturel, puisque qu’il fait partie de l’histoire du spiritisme ? Mais il ne peut se résumer de façon simpliste à une philosophie, un courant, une pensée occidentale, puisqu’il n’est pas le fruit d’un homme, mais celui de communications avec une multitude d’esprits désincarnés pour qui l’identité englobe l’ensemble de leurs vies vécues aux quatre coins de la Terre et sur d’autres planètes.


Et c’est là que le spiritisme prend toute sa dimension universelle, car s’il nous invite au dépassement des frontières de la mort, il nous invite également au dépassement des barrières culturelles pour que les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité ne soient pas que des mots. Car son message s’adresse à tous, il touche par le cœur et la raison toute personne en recherche indépendamment de sa culture ou de ses origines.


Nous nous rapprochons de l’au-delà mais nous nous rapprochons aussi entre nous, les hommes. Par ce que conscients de ce qui nous lie, notre origine véritable, spirituelle et divine. Conscient que le chemin qu’il nous reste à parcourir doit se faire ensemble, dans une paix nécessaire à notre évolution. Il ne nous est pas demandé d’uniformiser nos identités, de se fondre dans la masse. D’ailleurs, ce serait contraire aux lois spirites puisque même à l’état d’esprit pur, nous conservons notre individualité avec la mémoire totale de notre palingenèse. Et cette palingenèse est forcément différente pour chaque esprit. C’est bien que la différence a une raison d’être, même au terme de notre parcours évolutif.


Notre cercle comporte des adhérents de différentes cultures par ce que la notion d’universalité n’est pas qu’une belle théorie, elle est la base même de la philosophie spirite. S’il en avait été autrement, je n’y aurais certainement pas trouvé ma place. Le spiritisme a tenu pour moi son rôle de consolateur à plusieurs titres : celui d’une mort appréhendée dans la certitude d’une vie au-delà de la matière, celui d’une identité pleinement assumée dans une dimension plus large et une définition plus noble et enfin celui du rassemblement des hommes en une seule et même humanité.


Voilà ce qui m’a portée vers ce cercle spirite sans jamais renier ni ma culture ni mon parcours. J’y ai trouvé des valeurs absolues, un humanisme sans faille, une spiritualité sans mysticisme et une place à part entière. Mais j’y ai découvert aussi une grande variété de sujets et de connaissances. C’est comme si j’avais repris les bancs de l’école avec toutes ses matières, l’histoire, la littérature, la biologie, les sciences physiques et chimiques, la médecine, la philosophie, la psychologie, les sciences économiques et sociales, les sciences politiques, l’art, la médiumnité, le magnétisme, l’hypnose… Incontestablement, il a changé mon quotidien en lui apportant de la vie, en nourrissant ma réflexion et en l’élevant à un niveau plus universel et profond. De culture arabe et occidentale, de nationalité française et algérienne, spirite, je suis esprit avant tout.

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