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Être spirite, c'est être citoyen - par Jacques Peccatte

Il est souvent dit, ici ou là, que ce n’est pas notre rôle d’exprimer des opinions concernant les élections françaises à venir, mais la situation est suffisamment préoccupante pour que nous soyons en devoir d’en dire quelques mots. En effet sur le plan de l’éthique, le spiritisme représente et défend un certain nombre de valeurs universelles qui, qu’on le veuille ou non, ont des résonnances sociales et politiques.


Beaucoup de spiritualistes ont coutume de dire que toute spiritualité, spiritisme compris, devrait être apolitique, ce qui reviendrait à dire que nous devrions nous extraire de tout contexte de vie sociale, alors même que nous sommes tous concernés par la marche du monde qui ne peut laisser personne indifférent. Ou alors on pensera peut-être qu’il faut laisser l’organisation de la société aux politiciens et le contact avec l’au-delà aux spirites en séparant bien les sujets : «Rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu» aurait répondu Jésus aux Pharisiens essayant de le piéger sur la légitimité de l’impôt romain… Et l’on se contenterait alors d’une spiritualité toute entière tournée vers l’au-delà sans aucune conséquence sur nos vies d’ici-bas. Et pourtant, quand l’on découvre l’au-delà, on découvre simultanément des esprits qui font le bilan terrestre de leur dernière vie, bilan qui n’est pas toujours très brillant et justement à cause de comportements, de sentiments ou d’actions qui étaient très éloignés des valeurs universelles de l’amour, du partage et de la justice.


Ainsi donc, même lorsque l’on parle de l’au-delà, tout nous ramène à notre condition humaine qui doit être réfléchie à la lumière de notre philosophie, si toutefois cette philosophie doit avoir une fonction. A quoi servirait-il de démontrer l’existence des esprits et d’une force divine, si nos vies ne prenaient pas un sens particulier dans la quête d’une harmonie entre les humains ? Faudrait-il donc que le spiritisme soit seulement tourné vers l’au-delà, indépendamment de nos existences humaines qui seraient toujours subies dans une résignation expiatoire, et ce, au profit des puissants qui ont toujours su exploiter le bas peuple à partir d’une religion «opium du peuple» en des temps féodaux ? Et qui l’exploitent encore aujourd’hui à partir d’arguments qui, certes, ne sont plus religieux. Voilà déjà une première interrogation à laquelle nous répondons que le spiritisme ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur nos sociétés, car alors il y perdrait son âme, c’est-à-dire sa substance et sa véritable fonction émancipatrice : se tourner non seulement vers les esprits, mais aussi vers les humains à partir de principes d’égalité, de justice, de responsabilité qui étaient déjà des concepts contenus dans Le Livre des Esprits d’Allan Kardec, principes qui se conjuguaient à ceux des droits de l’homme et du citoyen hérités de la Révolution française : liberté, égalité, fraternité.


Un phénomène inquiétant


L’on doit à juste raison évoquer ces valeurs qui font partie de notre héritage à la fois national et spirite, en des temps actuels qui posent bien des interrogations, non seulement pour l’avenir de notre pays, mais aussi pour celui du monde entier dont l’évolution est encore suspendue à une mondialisation économique et financière qui a pris une voie désastreuse susceptible de nous conduire à des conflits sans fin où l’hégémonie des uns fera encore le malheur des autres. Dans tout cela, quelle importance ont les élections à venir en différents pays, et pour nous Français très prochainement ? Ce sont des élections qui prennent un tour particulier dans la mesure où elles ont lieu sur fond d’une crise grave que personne ne peut ignorer. Et nos candidats sont bien obligés de se positionner par rapport à cette crise qui est l’enjeu majeur de notre avenir. Chacun y va de ses propositions des plus classiques aux plus radicales, ce qui n’est pas en soi une nouveauté.


Mais il y a un phénomène inquiétant, celui de la montée des xénophobies teintées de racisme, parce qu’en période de crise, c’est la loi du genre, il faut trouver des coupables, et ce sont alors les boucs émissaires habituels de la crise qui en font les frais : les étrangers. C’est alors la montée d’un extrémisme, suffisamment visible en France et dans les autres pays européens, à tel point que déjà la Hongrie s’est dotée d’un gouvernement autoritaire qui a commencé par museler la presse d’opposition. Cela ne semble pas avoir provoqué un grand émoi, et une contagion éventuelle ne semble pas non plus inquiéter outre mesure, alors même qu’en France, nous avons banalisé une extrême droite dont le parti est maintenant considéré comme une force normalisée et participative de notre démocratie. Et l’on ne s’inquiète guère plus des égarements de nos gouvernants actuels qui sont allés chercher des thèses et des arguments à cet extrême, comme s’il était normal qu’une droite classique utilise des concepts xénophobes qui n’ont jamais été les siens, de mémoire de Ve République. La dérive est savamment distillée depuis cinq années, elle s’installe et imprègne les mentalités les plus fragiles qui n’ont aucun outil intellectuel pour juger d’une vie politique qu’ils ignorent.


Et s’il y a pourtant un outil intellectuel à la disposition de tout le monde, c’est celui de la mémoire, l’on parle de devoir de mémoire… parlons alors et simplement d’histoire. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, comment ignorer des dérives d’ordre éthique qui, à certains égards, s’apparent à ce que nos anciens ont vécu dans l’entre-deux-guerres ? Nous arrivons au terme d’un processus de développement économique qui a eu ses heures de gloire durant la trentaine d’années qui a suivi la guerre. Et nous tombons à nouveau dans une période sombre de récession et de crise, c’est la crise d’un système, un système dont on dit qu’il est naturel, comme s’il y avait une loi naturelle de l’économie et de la finance, et donc une loi quasi divine (puisque naturelle), la loi du sacro-saint marché qui est censé réguler la bonne marche du monde. Mais lorsque le système produit des désastres humains, il faut bien alors imaginer autre chose, et c’est ce qu’ont toujours fait les politiques de différents bords qui prônent des changements, des réformes voire des révolutions. Mais c’est un autre sujet… le but du présent argumentaire n’est pas là, bien que cela mérite aussi être évoqué.


Mais j’en viens plus spécialement à une dérive sur le plan de l’éthique qui, par bien des aspects, peut faire penser à la montée du fascisme dans les années trente. Le glissement est sournois, il est progressif, il se déguise derrière quelques discours et propos qui en appellent au bon sens commun. Et certains de nos concitoyens ne voient pas que ce bon sens commun a des relents xénophobes et racistes, que le vers est dans le fruit, et que déjà nous avons pris un chemin indigne. Indigne, oui, quand on se réclame des acquis du siècle des lumières, de la Révolution française, de la laïcité, de la Résistance et de tout ce qui a fabriqué l’âme d’une nation… qui justement est en train de perdre son âme. Que reste-t-il donc de notre rayonnement dans le monde ? Tout ce qu’il reste de notre culture n’existe plus guère que dans les livres, et aussi encore chez quelques penseurs qui ne peuvent admettre ce dépérissement intellectuel et moral.


Notre principale honte dans l’histoire fut celle de la collaboration du régime de Vichy. Faudrait-il que par un balbutiement de l’histoire, quelque chose de ressemblant nous revienne en pleine face, sur fond de crise économique ? Nous savons bien entendu que la crise engendre la méfiance, le repli et les haines, et donc que la montée des xénophobies est proportionnelle à cet état de crise. En période de prospérité la xénophobie recule, en période de crise elle s’amplifie dans le sens où il faut trouver des coupables. Et par un procédé simpliste, pour ne pas avoir à remettre en question un système, on s’attaque aux boucs émissaires (immigrés et chômeurs) qui sont les coupables tout désignés, ce qui permet de faire diversion et ainsi de ne pas regarder en face les vrais problèmes là où ils sont. C’est de cette façon que le fascisme était né en d’autres temps, c’est de cette façon qu’aujourd’hui on en vient à créer un climat de méfiance qui n’est pas très éloigné de ce que nos anciens ont connu. On pourra toujours nous rétorquer que ce n’est pas identique, que le contexte n’est pas la même, etc. Hé bien pourtant, le processus est le même car le fond n’a guère changé dans les mentalités et chez ceux qui les manipulent. Et comme les mêmes causes produisent sensiblement les mêmes effets, il serait temps que l’on considère l’histoire pour en tirer les leçons. Et quand de surcroît l’on apprend que, dans certains programmes scolaires d’histoire, l’on souhaite en modifier les contenus, n’y a-t-il pas là aussi de quoi concevoir quelque inquiétude ?


Spirite et citoyen


En tant que spirites, il sera de notre devoir de parler de citoyenneté, dans la mesure où nous avons, nous Français, la chance d’avoir un riche passé historique, culturel et social, dans la mesure où notre citoyenneté s’est construite progressivement depuis plus de deux siècles. Si nous avons acquis par là des droits, nous avons aussi des devoirs, et en tout premier lieu le devoir d’une réflexion à partir de la connaissance de notre passé. Faudrait-il donc oublier les révolutions du XIXe siècle et les deux empires dont Victor Hugo, Lamartine et d’autres se sont faits l’écho ? Faudrait-il donc oublier nos cinq républiques successives qui, sans être parfaites, ont progressivement stabilisé la démocratie ? Et l’on n’oubliera pas non plus les deux guerres mondiales où notre part a été importante, autant dans les erreurs que dans les justes positions. Parlons alors d’un patrimoine culturel et politique qui, s’il n’est pas exempt non plus des fautes de l’Empire colonial, porte malgré tout de grands idéaux démocratiques et républicains qu’il faudrait voir foulés du pied par une nouvelle caste de politiciens dévoyés ! C’est ce qu’il nous faut malheureusement constater aujourd’hui, dans une dérive intellectuelle et morale qui n’est acceptable, ni pour le citoyen, ni pour le spirite.


On pourrait dire qu’il y a comme une sorte de fatalité, lorsque les crises économiques engendrent le racisme et la xénophobie. Alors, si nous sommes spirites, refusons cette fatalité indigne qui porte le mépris des valeurs universelles que nous défendons. S’il faut d’un point de vue politique envisager des transformations radicales sur le plan de la finance et des échanges économiques, il faut en parallèle, lutter contre la montée de mouvements qui ne disent pas leur nom, des mouvements aux relents fascisants à peine contestés par la plupart de nos concitoyens. Cela n’est pas acceptable au pays de Victor Hugo, de Jean Jaurès, du général de Gaulle ou de François Mitterrand, et quelles que soient les opinions de chacun sur ces personnages dont on pourrait prolonger la liste, des valeurs diverses furent représentées, auxquelles il nous faut ajouter également l’apport des grands spirites fondateurs puisque nous sommes aussi au pays d’Allan Kardec, de Léon Denis, de Gabriel Delanne, etc. Ceci n’est pas un plaidoyer chauviniste, mais un appel au sens des responsabilités. Oui, plus que d’autres peut-être, nous sommes héritiers d’un riche passé dont nous ne sommes plus dignes, et il y va de la responsabilité de chacun d’entre nous de redonner tout leur sens aux valeurs intellectuelles, morales et éthiques pour la défense desquelles beaucoup de nos anciens ont laissé leur vie.


A la veille de prochaines élections, il nous semble indispensable de faire valoir un point de vue digne et respectueux des grandes valeurs universelles, un point de vue humaniste et spirituel qui soit conforme à notre représentation spirite en tant que Cercle Spirite Allan Kardec.

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