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L'Europe, une garantie pour la paix- par Jacques Peccatte

Notre monde en mouvements, confronté à des opinions désordonnées et versatiles, ne sait plus très bien où il va. Tous les pronostics sont déjoués parce que les populations, gagnées par le tourbillon de la contestation, s’en prennent aux systèmes, à tous les systèmes existants ou ayant existé, estimant parfois avec naïveté, qu’il faudrait tout faire voler en écla


t pour recréer autre chose. Mais que serait donc cet autre chose ? Comment donc imaginer un monde qui se transformerait radicalement du jour au lendemain sur d’autres bases ? C’est ce qui fut tenté à différentes périodes de l’histoire par des révolutions qui ne furent pas toujours à la hauteur des espérances qu’elles portaient. Mais aujourd’hui, c’est dans une autre direction que certaines mentalités ambiantes voudraient nous entraîner, loin des politiques habituelles de gouvernements d’alternances entre conservateurs et sociaux démocrates, loin également de tout processus révolutionnaire qui viserait à de grandes réformes structurelles.

Il s’agirait donc, comme le revendiquent certains, « d’essayer ce qui n’a pas encore été essayé », à savoir une gouvernance confiée à un parti populiste d’extrême droite. Ces partis dans toute l’Europe et même au-delà, réactivent les vieilles recettes du repli identitaire et du rejet de l’étranger. Leurs programmes empruntent aussi quelques thèses à la gauche alter mondialiste, en particulier dans un défi à la finance mondiale des grandes banques, ce qui leur donne un vernis quasi social.

Déjà le mouvement est en marche dans un délitement des autorités politiques qui à force de maladresses, ouvrent la voie à toutes les incertitudes et à tous les dangers. Un David Cameron qui, sûr de lui, tente un référendum que personne ne lui avait demandé, se trouve complètement désavoué dans une campagne menée par l’extrême droite de Nigel Farage pour le résultat du fameux Brexit le 24 juin 2016. Ensuite survient l’événement inattendu de l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats Unis le 8 novembre. Et l’on vient d’échapper à la présidence de Norbert Hofer en Autriche le 4 décembre, quand dans le même temps en Italie Mateo Renzi tente un référendum suicidaire en forme de plébiscite perdu d’avance. Sans compter que nous avons déjà en Hongrie le régime autoritaire et xénophobe du président populiste Victor Orban.

Pour une autre Europe

Toutes ces tendances conduisent à des incertitudes qui pourraient devenir de véritables bouleversements, menés par des pourfendeurs de l’Europe, qui sont tout à la fois racistes et xénophobes, prêts à se protéger contre les « invasions » ou migrations de réfugiés du Moyen Orient et de l’Afrique. Une partie du bon peuple souscrit à ces nouvelles idéologies de ségrégation, ayant oublié l’Histoire, ayant oublié que nous sommes dans une configuration qui pourrait s’apparenter à celle des années 30. Ce sont les mêmes ingrédients : même mentalité d’ostracisme, même repli identitaire sur la nation, même régressions face aux questions sociétales, et de surcroît une volonté de découplage avec une Europe qui ne donne pas satisfaction. Certes, l’Europe connaît de nombreuses faiblesses et n’est pas réellement à la hauteur des enjeux qu’elle est censée porter, mais elle a au moins été le gage de la paix durant soixante dix ans, ce qui mérite d’être considéré, car ce n’est pas avec le réveil des nationalités que l’on maintiendra une paix durable.

Certes, l’Europe sociale est quasi inexistante, chaque pays ayant ses propres droits et conventions ; certes l’Europe diplomatique et militaire n’a pas une consistance suffisante pour s’affirmer avec force à l’international ; mais au moins cette Europe a le mérite d’exister ayant permis au fil du temps de préserver une oasis de paix dans un monde en guerre, ayant assimilé la chute du mur de Berlin, la réunification allemande et l’intégration des pays de l’Est dans une certaine sérénité.

Le seul point névralgique fut l’ancienne Yougoslavie, extérieure à la Communauté européenne, qui, dans une quête identitaire, produisait des séparatismes ethniques et religieux insensés, chaque province prenant son indépendance dans un fractionnement en plusieurs petits états, à l’image de ce qu’étaient ces régions avant la première guerre mondiale. Certains de ces nouveaux pays adhèrent ou souhaitent adhérer à la communauté européenne, mais tout n’est pourtant pas définitivement réglé pour des Etats comme le Kosovo ou la Macédoine. On s’est rendu compte à cette occasion que des peuples ayant vécu ensemble durant quelques décennies, sont capables de réveiller leurs vieux démons particularistes, pour déclencher un conflit meurtrier d’épuration ethnique. Ce seul exemple proche de nous dans l’espace et dans le temps, devrait faire réfléchir tous nos concitoyens sur la fragilité des équilibres, la fragilité de la paix et de l’entente entre les peuples. Déjà des dissensions importantes voient le jour quant à l’accueil des migrants, rejetés par la plupart des pays d’Europe de l’Est comme la Hongrie ou la Pologne. Par ailleurs ces pays, ayant retrouvé un certain développement économique grâce à l’Union européenne, ont tendance à s’en démarquer de plus en plus, comme si l’âme slave était tiraillée entre l’Est et l’Ouest.

Les équilibres sont donc fragiles et les montées populistes dans toute l’Europe, seront qu’on le veuille ou non, des prémisses de dissensions et de séparatismes mal venus, voire à terme de conflits guerriers. Tout indique en pareil cas que le conflit est au bout du processus, quand chaque pays se replie sur lui-même, entretenant une nouvelle méfiance vis à vis de son voisin. Ce que nous avons vu en Yougoslavie pourrait très bien sous d’autres formes sonner le glas d’une Europe démantelée qui nous ramènerait peu ou prou aux errements de l’avant seconde guerre mondiale.

Les nouveaux populistes, présents dans tous les pays, s’ils ne le savent eux-mêmes, sont bel et bien des fauteurs de guerre, qui, si les circonstances le leur permettent, n’hésiteront pas à provoquer de funestes déstabilisations.

Non, l’Europe n’est pas parfaite loin de là, ayant par exemple contraint la Grèce à l’impossible, et pourtant Alexis Tsipras s’est résolu à suivre les contraintes exigées pour simplement sauver son pays et son peuple, sachant qu’une sortie de l’Europe eut été encore plus risquée. D’autres se réjouissent du Brexit et voudraient suivre le même chemin, n’imaginant pas les répercussions possibles à terme.

En outre on n’a jamais vu que des populismes d’extrême droite aient engendré la paix et le bonheur des peuples. Ils n’aboutissent qu’au totalitarisme, à la persécution, voire au génocide, après avoir muselé la presse d’opinion, l’enseignement et la justice, comme nous en avons aujourd’hui le triste exemple dans la Turquie d’Erdogan, un pays dont l’Europe finit par avoir peur, faute d’avoir exercé des pressions diplomatiques plus fortes antérieurement. C’est la grande faiblesse de l’Europe, de même que son impuissance à réagir aux crimes insoutenables de Bachar el Assad et Wladimir Poutine, actuellement à Alep. C’est une Europe tétanisée ne trouvant pas les moyens d’une diplomatie commune, qui, si elle existait dans une représentation de chaque pays membre, pourrait peser autrement sur les affaires du monde. Mais voilà… des particularismes refont surface et les pays européens les moins influents se désintéressent de l’international, laissant faire pour l’essentiel la France et l’Allemagne, appuyant juste de quelques soutiens logistiques les opérations en cours.

Cela étant, ce n’est pas une raison suffisante pour envisager l’éclatement d’une Europe, qui sur le plan d’une stabilité pacifique a fait ses preuves. Il faut évidemment faire beaucoup mieux et autrement ; l’Europe aurait la capacité de se positionner à l’égal des Etats Unis, de la Chine ou de la Russie, dans une diplomatie unitaire susceptible d’affronter avec force les grands enjeux économiques et politiques, et peser de toute son influence sur les zones de conflit.

Il n’y a pas d’autre solution viable, tant pour notre avenir que pour celui de la planète. N’écoutons pas le chant des sirènes de tous les pourfendeurs d’Europe, qui sont prêts à claquer la porte sans en mesurer tous les conséquences, quand dans chacun des pays de l’Union, les montées du racisme et de la xénophobie sont bel et bien à l’œuvre. Il n’y a pas à négocier avec ces fléaux de l’humanité qui en d’autres temps avaient conduit au fascisme.

Les populations peuvent être mécontentes de leurs gouvernants ou de l’Europe, c’est leur droit, mais se laisser récupérer par des populistes dangereux, cela devient totalement inconscient et irresponsable. Ces populistes comme à l’habitude prétendent toujours agir pour le bien commun, nous font croire que nous serions dans une situation inédite, alors même qu’ils sont prêts à renouveler toutes les erreurs et tous les méfaits des nationalismes européens d’avant guerre en recyclant de vieilles recettes qui avaient mis le monde à feu et à sang.

C’est cela le plus important pour l’avenir d’une Europe qui pourrait encore devenir le garant de la stabilité du monde. Maintenir les équilibres et agir avec force diplomatie pour endiguer les conflits, c’est un rôle que l’Europe peut et doit se donner, en commençant par lutter contre ses vieux démons internes, ceux des mentalités de l’intolérance et du rejet qui nous feraient dériver pas vers un ailleurs incertain.


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